HAN GAN

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Bien qu’il ait peint des figures (il réalisa entre autres des fresques bouddhiques), Han Gan est avant tout célèbre comme peintre de chevaux. C’est lui d’ailleurs qui contribua à hausser ce sujet au niveau d’un genre. En Chine, un peintre peut fort bien se spécialiser étroitement dans une seule catégorie de sujets sans pour autant être considéré comme un artiste mineur. Cela s’explique par les conceptions philosophiques chinoises selon lesquelles la totalité de l’univers se reflète en microcosme dans le moindre de ses éléments. Mais, dans le cas de la peinture de chevaux, un autre facteur intervenait encore pour justifier l’importance du genre: le rôle considérable que le cheval jouait dans la Chine des Tang (618-907); auxiliaire de la conquête et de l’expansion, il était directement lié à cette entreprise d’ouverture vers les espaces de l’Asie centrale, qui élargissait l’horizon culturel et l’Empire en même temps qu’il lui apportait une grandeur et une prospérité accrues. Ce n’est du reste pas la première fois que le cheval se trouvait mis à l’honneur en Chine: il l’avait déjà été sous les Han (206 av.-220 apr. J.-C.), autre âge d’expansion et d’énergie, et il le sera encore sous les Yuan (1280-1368), mais alors du côté des envahisseurs, ces cavaliers mongols qui s’étaient emparés de la Chine.

Han Gan et la peinture de chevaux

Associés aux divertissements aristocratiques (polo, chasse, joutes et excursions), les chevaux étaient particulièrement prisés à la cour pour une raison plus subtile: tous les fondateurs de dynasties ayant, au sens propre du terme, conquis l’Empire à dos de cheval, leurs descendants avaient à cœur d’entretenir de vastes et splendides haras pour marquer leur fidélité aux vertus martiales dont leur pouvoir était issu. La dynastie Tang en fournit un bon exemple: Li Shimin (626-649) avait été grand amateur de chevaux et ses successeurs ne démentirent pas cette passion; sous le règne de Xuanzong (712-756), que Han Gan fut appelé à servir, les écuries impériales comptaient près de quarante mille chevaux. Les meilleurs artistes étaient invités à faire le portrait des montures favorites du souverain (dans un poème de Du Fu se trouve décrite une telle «séance de pose»); outre qu’elle satisfaisaient le goût personnel de l’empereur, ces peintures revêtaient encore une signification officielle et historique: les régions lointaines du Ferghana et du Khotan envoyaient leurs plus beaux étalons en tribut à la capitale, et les peintures qui en étaient faites perpétuaient cet hommage rendu par les nations étrangères au rayonnement et au prestige de la cour chinoise.

On ne sait presque rien de la biographie de Han Gan; il fut actif durant le second et le troisième quart du VIIIe siècle. Originaire du Henan ou du Shanxi, il vint très tôt habiter la capitale (Chang’an). Encore enfant, alors qu’il travaillait comme petit commis chez un marchand de vin (ce qui ferait supposer qu’il était d’origine modeste), son talent précoce aurait été remarqué par l’illustre poète et peintre Wang Wei: le récit de cette rencontre rappelle la légende, rapportée par Vasari, de Cimabue découvrant Giotto en train de dessiner ses moutons, et ne possède sans doute pas plus de fondement historique. Vers 750, le jeune artiste fut convoqué à la cour; à ce moment, le règne de Xuanzong portait la civilisation Tang à son zénith. Il allait en quelques années consumer le meilleur des énergies et des ressources de la dynastie en une sorte d’éblouissant feu d’artifice, qui bientôt sera interrompu par une rébellion et ne pourra par la suite plus jamais retrouver son ancien éclat. La tradition rapporte que l’empereur invita Han Gan à se mettre à l’école de Chen Hong, célèbre peintre de figures et de chevaux, appointé par la cour. Au lieu de suivre ce conseil, Han Gan s’imposa d’emblée par un style puissamment original qui ne devait rien aux exemples de son aîné. Il s’en expliqua auprès du souverain en disant qu’il n’avait pris «pour seuls maîtres que les chevaux des écuries impériales». Le mot est trop conforme à certaines répliques stéréotypées des biographies d’artistes pour être historique; il n’en est pas moins révélateur de l’impression que sa peinture dut faire sur les critiques de l’époque: ceux-ci semblent avoir été frappés par la nouveauté de son art, et surtout par le caractère de vérité et de vie qu’il avait réussi à insuffler à ses modèles. Mais en déduire, comme font certains, que Han Gan travaillait d’après nature au sens strict du terme serait peut-être commettre un contresens (plus tard, Zhao Mengfu devait précisément apprécier chez Han Gan le fait qu’il ne se laissait pas enfermer dans une reproduction des apparences formelles). Il donna à la peinture des chevaux sa forme spécifique, et les plus grands spécialistes du genre aux époques ultérieures, Li Gonglin sous les Song et Zhao Mengfu sous les Yuan, se sont directement appliqués à l’imiter. Consécration suprême de son génie, il est même entré dans la légende populaire, et plusieurs contes fantastiques traitent des vertus magiques qu’auraient manifestées certaines de ses œuvres.

«Blanc-qui-illumine-la-nuit» et «Palefrenier menant deux chevaux»

Han Gan étant considéré comme le plus grand maître du genre, depuis des siècles les faussaires ont pris l’habitude d’ajouter sa signature sur toutes les peintures de chevaux qui présentent une apparence d’ancienneté. Alors que ces impudentes falsifications se comptent par milliers, il ne reste guère de témoins sérieux pour étayer la connaissance de son art. Les catalogues Tang et Song ont conservé la mention d’une soixantaine de ses peintures (les œuvres mentionnées à l’époque Song – qui forment la majeure part de cette liste – devaient déjà comporter un certain nombre de faux); aujourd’hui seules subsistent deux œuvres d’une antiquité certaine et d’une haute qualité artistique, qui pourraient éventuellement correspondre à ces mentions des catalogues anciens: il s’agit de deux petites pièces, le portrait d’un destrier favori de l’empereur Xuanzong, Blanc-qui-illumine-la-nuit (collection sir Percival et lady David, Londres) et le Palefrenier menant deux chevaux (collection de l’Ancien Palais, Taiwan). Ces deux œuvres, qui portent l’une et l’autre des attestations de collectionneurs anciens, se signalent toutes deux par leur beauté, mais elles sont d’une facture si radicalement dissemblable qu’il semble exclu qu’elles puissent provenir de la même main, ni même être contemporaines. En ce qui concerne le destrier Blanc , le fait qu’il s’agit probablement d’une étude préparatoire ne suffit pas à expliquer un archaïsme fruste en complet contraste avec l’aisance souple et élégante du Palefrenier. Le destrier Blanc respire une puissance brute, éclate d’une irrépressible vitalité; c’est un magnifique «portrait», au sens où l’on entendait cette notion sous les Six Dynasties: non point réplique minutieuse d’une apparence externe, mais saisie d’un caractère, extériorisation de la nature intérieure du sujet. Il y a dans cette œuvre une sorte de primitivité – qui en fait d’ailleurs la force et le mérite – apparemment incompatible avec le métier plus sûr, mais moins viril, de la peinture de l’Ancien Palais.

Du Fu, dans un poème où il faisait l’éloge d’un autre célèbre peintre de chevaux, Cao Ba, lequel fut peut-être le maître de Han Gan, dit que Han Gan «ne savait peindre que la chair et non les os, affligeant ainsi les plus fiers coursiers d’une physionomie dépourvue de vitalité». Ce jugement, dont la sévérité a fort embarrassé les commentateurs ultérieurs, pourrait assez bien s’appliquer à la texture moelleuse et au modelé satiné des deux chevaux du Palefrenier. Mais peut-on entendre au pied de la lettre une assertion qui n’était peut-être motivée que par le désir de flatter Cao Ba (destinataire du poème) en dépréciant son rival plus heureux? Zhang Yanyuan, le plus illustre connaisseur et critique de l’époque Tang, s’est d’ailleurs inscrit en faux contre ce jugement, et il admirait au contraire les chevaux de Han Gan pour leur intense dynamisme, qualité que l’on trouve mieux illustrée par le destrier Blanc. Qui croire de Du Fu ou de Zhang Yanyuan? Pour départager ces deux témoins subjectifs, on ne dispose que de deux œuvres contradictoires et certaines. En fin de compte, il est parfaitement possible qu’aucune des deux peintures en question ne soit de Han Gan. Ainsi son art – comme c’est le cas pour la plupart des maîtres Tang – se dérobe irrémédiablement à toute enquête plus précise.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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